Jean-Paul Hévin, chocolatier sacré
[PODCAST] Le pâtissier-chocolatier Jean-Paul Hévin a reçu le 2 octobre dernier, à Milan, le World Pastry Stars 2023-2024. Cette reconnaissance par ses pairs de la qualité et de la précision de son travail l’a beaucoup touché. Rencontre avec un maître des cacaos, qu’il prend le temps de sourcer et de déguster, figure inspirante pour de nombreux professionnels dans le monde.
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Dans le monde du chocolat, Jean-Paul Hévin a tracé un sillon planétaire entre la France et le Japon. Originaire de la Mayenne, il a grandi très proche de la terre, du végétal et des fruits du verger de ses parents. Il n’a eu de cesse par la suite de conserver son contact avec les matières premières, qu’il respecte avec délicatesse.
Aux nombreux titres et prix qu’il s’est vu décerner – dont celui de Meilleur ouvrier de France en 1986 — s’ajoute désormais celui de meilleur chocolatier-pâtissier du monde. À Milan, en Italie, le 2 octobre dernier, le World Pastry Stars 2023-2024 a ainsi salué sa carrière. Cet artisan a bâti en quelques décennies une constellation de boutiques à Paris, à Taipei et au Japon. Il nous a reçu 23 bis avenue de la Motte-Picquet (Paris 7e), là où il a démarré avec deux personnes, dans un labo installé au même niveau que sa boutique.
La Toque magazine : Que représente pour vous ce titre de meilleur chocolatier-pâtissier du monde ?
Jean-Paul Hévin : Le travail d’une vie est récompensé, ça fait plaisir. Ce prix revient aussi à mes clients, qui m’ont permis d’accomplir tout cela. Dans mon travail, j’ai toujours tout fait au service des autres. C’est comme un puits sans fond de créer pour que le produit soit dégusté. Ce prix est la preuve que mon choix de vie étaitle bon.
LTM : Quelle est votre recette pour continuer à créer ?
J-PH : Le plaisir ! De découvrir de nouvelles matières premières, de nouveaux produits, qui vont me titiller quand je les déguste à l’état brut puis me donner envie de les transformer, et enfin que cette découverte soit partagée avec mes clients. C’est ça mon grand bonheur !
LTM : Comment éduquez-vous votre palais ?
J-PH : Le goût est mon plaisir suprême. J’aime les bonnes choses, et c’est toujours avec des efforts qu’on peut les trouver. Je déguste souvent. Récemment, un ami des Relais Desserts m’a fait goûter un cacao de Tahiti, une couverture de chocolat. J’ai été séduit, même sidéré, par ses notes acidulées de fraise et de framboise. Dans mon mode de dégustation, je fais un premier test, puis de nouveau à des moments distincts : le matin, en fin de journée, en soirée, dans différentes conditions. C’est tout un process pour comprendre ce goût et voir à quel point il est séduisant. Quand je teste un nouveau cacao, je prépare une mousse, une ganache, un macaron, pour voir ses qualités et dans quel espace il est le plus expressif.
LTM : Vous êtes tombé très jeune sous le charme du Japon. Racontez-nous…
J-PH : J’ai pratiqué le karaté, puis j’ai travaillé avec l’hôtel Nikko [Paris 15e] avant de partir vivre au Japon en 1984. Lucien Peltier, le pâtissier pour lequel je travaillais, était le repère des professionnels. C’était un plaisir de travailler dans de bonnes conditions. Je me suis imprégné de la culture de la précision, du savoir-faire des Japonais. On ne peut pas collaborer avec eux sans apprécier la culture japonaise. Au Japon, on retrouve l’artisanat, le respect des personnes qui travaillent, ce que j’apprécie beaucoup. Je m'y sens plus tranquille. En France, j’apprécie la gastronomie, tous les aspects culturels, les expositions. C’est ici que je passe le plus de temps : les parties fabrication et création de mon métier se trouvent en France.
LTM : Le bean to bar s’est imposé à un moment de votre carrière, pourquoi ?
J-PH : Je me posais cette question : comment évoluer dans la création sans, tous les matins, rechercher une épice à ajouter à mon chocolat. La matière première cacao me fait évoluer. En fonction desrégions, les goûts sont différents. J’ai toujours envie de valoriser le goût typique du dernier terroir que j’ai découvert. La variété fait la valeur, et j’aime proposer à mes clients des goûts fumés, acidulés, fruités… provenant de Madagascar, d’Équateur, du Pérou, d’Haïti.
LTM : Que retenez-vous de vos rencontres avec les cacaoculteurs ?
J-PH : Nous voulons un cacao plus respectueux des producteurs. J’ai vécu, enfant, dans une campagne saine quand il n’y avait pas d’intrants. Le produit naturel est celui qui me permet de m’exprimer. J’ai visité beaucoup de plantations en Amérique du sud, qui est pour moi la région du monde la plus intéressante. Puis j’ai voulu aller au plus proche de la France. Avec les Chocolatiers engagés, au Cameroun, j’ai rencontré une culture, des professionnels et la présidente d’une coopérative de producteurs. Je me suis engagé personnellement à financer un centre d’excellence pour la fermentation. Les cacaoculteurs amènent leurs fèves fraîches dans le centre où travaillent des personnes compétentes. On passe de 2 à 9 enqualité de cacao. Le prix devient discutable et cela leur permet de gagner davantage. Nous nous engageons à long terme sur un tarif ; si bien que des jeunes partis travailler en ville peuvent revenir à la campagne, et les familles retrouvent un plaisir de vie. L’agroforesterie est aussi un volet important. Ils reprennent en main les forêts et valorisent leur joli terroir. Ma maison communiquant sur le cacao du Cameroun, oriente des couverturiers vers cette matière première de qualité.
LTM : Avec ce cacao, vous avez préparé un gâteau du voyage baptisé Douala, du nom de l’aéroport international du pays, décoré d’animaux de la savane. Pouvez-vous le décrire ?
J-PH : Toute la singularité du goût se joue au niveau de l’origine du cacao. J’ai eu une émotion en dégustant la mousse au chocolat préparée avec le cacao du Cameroun, qui a des notes d’épices, de fruits jaunes, un très beau profil aromatique. Le Douala est composé d’un biscuit chocolat et amandes, d’une mousse grand cru du Cameroun 70 %, et d’un gianduja noisette qui apporte du pétillant.
LTM : Comment voyez-vous l’avenir du chocolat ?
J-PH : Il y a les grands crus mais d’autres peuvent être bons. J’espère avoir encore des chocolats d’origine, mais il faudra les “diluer” car cette matière première devient coûteuse. L’humain devra être malin pour créer avec une intensité aromatique du chocolat moins présente. J’y travaille.
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